Le lait maternel est-il « le meilleur des vaccins » ?
L’hésitation vaccinale est très présente en France.
Certains de ses leaders, toujours en quête d’argument, ont trouvé une nouvelle approche qui se voudrait innovante et disruptive : le lait maternel protègerait contre toutes les maladies infectieuses grâce à ses propriétés immunitaires et rendrait inutile les vaccins avant l’âge de deux ans [1].
Qu’en est-il scientifiquement ?
Le lait maternel est effectivement l’alimentation du nourrisson la plus adaptée sur le plan nutritionnel. Il a aussi des propriétés antimicrobiennes, antivirales et immuno-modulatrices. C’est donc incontestablement la meilleure manière de nourrir le nouveau-né. Mais cette protection est très peu spécifique, et n’apporte malheureusement pas une protection ciblée contre les maladies graves.
L’essentiel des anticorps (Ac) apportés par le lait est en effet de type IgA sécrétoires. Ils sont présents sur les muqueuses, en particulier respiratoires et digestives et réalisent une première ligne de défense, certes très utile, mais insuffisante vis-à-vis des maladies graves. Dans l’intestin, la production d’IgA est surtout induite lors de la colonisation des nouveau-nés par la flore intestinale maternelle, au cours de l’accouchement et dans les heures qui suivent [1]. Tous les enfants en bénéficient donc, allaités ou pas (sauf peut-être moins ceux nés par césarienne). Dans ce cadre, l’apport du lait maternel est utile mais secondaire et passif. Surtout, il ne contient malheureusement pas ou très peu d’Ac de type IgG et IgM, qui sont les anticorps actifs au niveau sanguin et général. Ce sont eux qui confèrent une protection efficace, spécifique et ciblée, surtout si elle a été stimulée auparavant, en particulier grâce à la mémoire immunitaire acquise par la vaccination.
D’autres agents anti-infectieux présents dans le LM ont un intérêt [1]. Cependant, ils n’apportent pas non plus de protection spécifique contre les maladies, en particulier à prévention vaccinale.
- Acides gras polyinsaturés à longues chaînes : ils augmentent le nombre de lymphocytes T mémoires et la réponse cytokine ;
- Oligosaccharides : ils agissent comme des récepteurs analogues, empêchant les virus d’interagir avec la muqueuse intestinale ;
- Lysozyme, peroxydase, lipase, anti protéases, lactoferrine : ils sont virucides ;
- Le Lait de mère contient 106 à 107 cellules par ml dont 80% de PN, 15% de macrophages et 5% de lymphocytes ;
- Les Cytokines et les Chimiokines, contenues dans le lait, modulent les défenses immunitaires ;
- Quant au cycle entéro-mammaire,il permet à des IgA sécrétoires de se retrouver très rapidement dans les glandes mammaires et dans les glandes salivaires de la mère.
Ainsi l’allaitement permet un meilleur « état » immunitaire, surtout si on l’associe à l’accouchement par voie basse, à l’absence de tabagisme et à l’absence de collectivité au moins pendant le premier hiver. Mais, comme tous ces facteurs, il n’apporte pas ou peu de protection spécifique contre les maladies à protection vaccinale, en dehors et de façon incomplète vis-à-vis des gastro entérites [1].
Comment le nourrisson est-il protégé ?
Le nouveau-né reçoit bien des Ac type IgG de sa mère mais par voie trans-utérine dans les deux derniers mois de grossesse, et non pas par l’allaitement. Ces Ac ont une clearance (élimination) assez rapide, d’où une protection de seulement quelques mois. Ceci explique que le nourrisson, allaité ou pas, est particulièrement fragile entre 3 et 6 mois : il a perdu la majeure partie des Ac apportés en fin de grossesse et n’en fabrique pas encore assez lui-même.
Par ailleurs, encore faudrait-il que la mère ait, elle-même, des anticorps à transmettre. La plupart des adultes non revaccinés récemment n’ont plus de protection coqueluche par exemple. Comment la mère pourrait-elle transmettre une protection qu’elle n’a pas elle-même ? L’avenir en France pour lutter contre la coqueluche, serait de vacciner les mères pendant la grossesse. C’est déjà ce qui se fait dans beaucoup de pays comme le RU, les USA… avec d’excellents résultats et aucun problème particulier de tolérance.
En France, actuellement, la vaccination pendant la grossesse n’est recommandée (et très peu appliquée) que pour la grippe. Un vaccin dtPCa [1] a pourtant une AMM pendant la grossesse. La recherche se porte maintenant sur des vaccins contre les bronchiolites (VRS) et le streptocoque B pendant la grossesse. Comme pour la grippe et la coqueluche, c’est la femme enceinte qui sera vaccinée, et l’enfant naitra ainsi tout de suite bien protégé, avec un taux d’Ac supérieur à celui de sa mère (effet concentrateur du placenta) [1]. C’est en cela que réside l’avenir !
Dans le même ordre d’idée, les mêmes « leaders » de la non-vaccination reprochent aux vaccins d’être « un crime immunitaire » sur des organismes immatures.
L’allaitement permettrait, selon eux, de passer le cap de deux ans et d’éviter ce « crime ».
C’est totalement faux scientifiquement.
Le nouveau-né a effectivement une moins bonne immunité immunitaire, mais, nous l’avons vu, l’allaitement ne le protège que très partiellement.
Ce sont les contacts antigéniques multiples qui le font rapidement murir (accouchement par voie basse, probiote, contacts physiques avec l’entourage et aussi…vaccination).
Son immaturité fait que beaucoup de maladies sont fréquemment plus graves chez lui. Cela rend sa protection par la vaccination encore plus indispensable que chez le plus grand enfant et ce, qu’il soit allaité ou pas. Coqueluche, rougeole, méningites, maladies sévères à pneumocoque, grippe, etc… ont des formes plus sévères chez le tout-petit. De plus, le pic de fréquence des méningites, des encéphalites et des infections invasives (Méningocoque, Haemopjhilus Influenzae, Pneumocoque, Rougeole), se situe avant un an et même plutôt entre 2 et 6 mois. C’est donc là que le nourrisson a un besoin vital d’être réellement protégé.
Cette moins bonne immunité impose seulement de lui faire parfois plus de doses de vaccin que chez le plus grand, sans problème de tolérance. A titre d’exemple, le vaccin Haemophilus Influenzae nécessite deux doses plus un rappel s’il est fait avant un an, une seule dose après un an ; mais c’est dans la première année qu’il a surtout besoin d’être protégé. Le grand prématuré, qui n’a pas eu le bénéfice de l’apport d’anticorps dans les deux derniers mois de grossesse, est encore plus fragile et plus immature. Les vaccins sont encore plus indispensables pour lui, allaitement ou pas. Il doit être vacciné en âge réel vers 6-8 semaines de vie ou dès que possible et, parfois, il doit même recevoir une dose de plus.
L’allaitement ne contre-indique aucun vaccin, même vivant (RotaVirus, ROR), en dehors de la vaccination Fièvre Jaune (FJ). Pour rougeole et rubéole, même si des Antigènes vaccinaux passent dans le lait maternel, ils n’ont jamais provoqué d’accident. Pour la Fièvre Jaune, la balance risque-bénéfice est par contre à discuter pour une mère obligée de partir en Afrique ou dans une partie de l’Amérique du sud (le Brésil est en pleine recrudescence). Dans ces pays, l’allaitement est particulièrement important ET le risque de fièvre jaune, majeur. La recommandation est d’arrêter temporairement l’allaitement durant les 15 jours après la vaccination. Il convient bien sûr de stimuler l’allaitement dans ce laps de temps, en tirant le lait et en le jetant, puis de reprendre l’allaitement par la suite (s’il ne s’est pas arrêté malheureusement entre temps). Le vaccin étant aussi contre-indiqué pendant la grossesse, l’idéal ici serait d’avoir vacciné la mère susceptible de partir en zone à risque avant la grossesse, afin de la protéger jusqu’au-delà de son allaitement : une seule dose suffit à vie.
En conclusion, l’allaitement ne peut en aucun cas remplacer la vaccination.
Faire croire cela à des parents, c’est mettre leur enfant en danger. Un tel message engage la responsabilité morale, déontologique et scientifique de celui qui l’avance. A notre avis, une responsabilité pénale devrait aussi être engagée.
L’allaitement et la vaccination sont tout à fait complémentaires et synergiques pour protéger l’enfant de moins de deux ans.
« Le sein et les vaccins, c’est plus malin » est aussi pertinent que « les antibiotiques, c’est pas automatique ».
Références
- Le lait maternel, le meilleur des vaccins – Professeur-Joyeux.com
- Macpherson AJ, Harris NL., Interactions between commensal intestinal bacteria and the immune system. Nat Rev Immunol. 2004 Jun;4(6):478-85
- Avec l’aide de Marc Pilliot ex-président de la CoFAM
- Quigley MA, Kelly YJ, Sacker A. Breastfeeding and hospitalization for diarrheal and respiratory infection in the United Kingdom Millennium Cohort Study. Pediatrics. 2007 Apr;119(4):e837-42 2007
- Michelle J Groome et al. Effect of breastfeeding on immunogenicity of oral live-attenuated human rotavirus vaccine: a randomized trial in HIV-uninfected infants in Soweto, South Africa. Bull World Health Organ 2014;92:238–245
- Boostrix®
- K. Maertens et al; Breastfeeding after maternel immunization during pregnancy: providing immunological protection to the newborn: A review. Vaccine 32(2014); 1786-1792
Fiche rédigée par :
- Infovac
- AFPA (Association Française de Pédiatrie Ambulatoire)
- Pour le groupe infectiologie et Infovac : F. Vié le Sage
- Pour le groupe Allaitement : C. Salinier et M. Pilliot
Mise à jour janvier 2020