E comme « Enfant »

Pourquoi les enfants n’ont-ils pas été inclus initialement dans les études et dans les recommandations vaccinales contre le SARS-CoV-2 ?

Pour de deux raisons :

1) Ils présentent beaucoup moins souvent de symptômes que les adultes et encore moins souvent de formes graves ;

2) Ils sont moins contaminés et moins contaminants ; à l’évidence, ils jouent un rôle limité dans la dynamique de la pandémie. Cependant des syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques (MIS-C ou PIMS) proches de la maladie de Kawasaki et la possibilité de COVID longs, dont la fréquence (probablement rare) et le type sont inconnus à ce jour, ont été rapportés. Cependant, l’émergence du variant ∂ d’une part, la preuve de l’effet sur la transmission donc sur l’immunité de groupe étant maintenant apportée et les données de sécurité étant mieux établies chez l’adulte et l’adolescent d’autre part, ils pourront faire partie des cibles de la vaccination si les données sur la sécurité des vaccins dans cette population sont favorables, ce qui semble être le cas sur les premières données de pharmacovigilance américaine. Il n’en reste pas moins que la vaccination peut être proposée rapidement aux enfants à risque de formes graves. Dans le monde, déjà des milliers d’enfants porteurs de facteurs de risque, ont reçu à ce jour, le vaccin de Pfizer-BioNTech sans effet indésirable notable. Il est important de noter que l’émergence des variants très contagieux et que le fait qu’une proportion importante d’adultes et d’adolescents soit maintenant vaccinée sans que les enfants le soient, risquent dans les pays ayant accès au vaccin de transformer la COVID-19 en une maladie pédiatrique.

Dispose-t-on de données d’immunogénicité, d’efficacité et de tolérance chez les enfants ? Oui !

L’étude du Comirnaty® chez les enfants de 5 à 11 ans a été publiée : double aveugle (randomisée 2/1 versus placebo) comportant environ 2250 enfants, avec un dosage à 10 microgrammes, 3 fois plus faible que celui utilisé chez l’adulte et l’adolescent. Malgré cette dose réduite, l’immunogénicité, l’efficacité et la tolérance sont comparables à celles observées chez l’adulte. L’immunogénicité chez 264 enfants a été comparée à celle de 253 adultes âgés de 16 à 25 ans. La moyenne géométrique du taux d’anticorps était de 1197 (IC95% 1106-1296) chez les enfants et 1148 (IC95% 1045-1257) chez les adultes : ratio moyen 1,04 (IC95% = 0,93-1,18). L’efficacité sur les formes symptomatiques a été évaluée à 90,7% (IC95%=67,7-98,3%) avec 3 cas dans le groupe vacciné (1305 enfants) et 16 dans le groupe placebo (663 enfants). Les effets indésirables (douleurs au point d’injection, rougeur, fièvre, asthénie…), étaient équivalents entre la 1ère et la 2ème dose et comparable à ce qui était connu chez l’adulte. En France, les sociétés savantes de pédiatrie et la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française ont considéré que la vaccination des 5-11 ans n’apparaissait pas pour l’instant comme une urgence car la situation aux États-Unis (où elle a été recommandée depuis le 1 er novembre 2021) était différente de celle de la France.

Le tableau suivant compare les données Françaises et Américaines début décembre 2021, avant Omicron.

Données Américaines et FrançaisesFranceÉtats-UnisFacteur de multiplication
N de casIncidenceN de casIncidence
Population globale (millions)≈ 67≈ 335
Population des 5-11 ans (millions)528
Nombre d’hospitalisations pour les 5-11 ans12841,918.3002,481,3
Nombre de PIMS chez les 5-11 ans3510,523.1000,931,8
Nombre de séjours en réanimation chez les 5-11 ans2260,342.7000,812,4
Nombre de décès chez les 5-11 ans30,004940,037,5
Séroprévalence chez les 5-11 ans16%40%16%2,5
Nombre de semaines de fermeture d’école10474,7
Pourcentage d’adultes vaccinés≈ 90%≈ 70%
Pourcentage d’adolescents vaccinés≈ 80%≈ 50%

En deux mois, sur environ 25 millions de petits américains dans cette tranche d’âge, 7 millions ont déjà reçu une dose et plus de 2 millions deux doses.

La vaccination des enfants de 5 à 11 ans peut-elle avoir un impact sur l’épidémie de variant ∂ ou Omicron ? Vu l’émergence du variant Omicron aucune projection sérieuse ne peut être faite. En effet, après une, voire deux doses, la protection contre les fromes non graves de la maladie est absente ou modeste, ne devenant appréciable qu’après la dose booster. L’effet de la vaccination des enfants aura au mieux un effet modeste sur les vagues delta et omicron. Le bénéfice collectif attendu de la vaccination des enfants ne peut être la raison principale de sa mise en œuvre, parce qu’il ne sera effectif que dans quelques mois (pour autant qu’une proportion importante des enfants reçoive deux doses. Ce n’est le cas ni aux États-Unis (<25% pour 1 dose, moins de 10% pour 2 doses), ni en Israël (<15%), ce indépendamment de problèmes de logistique.Si les enfants doivent être vaccinés c’est pour le bénéfice individuel qu’ils pourraient en tirer : poids de la maladie et des conséquences indirectes de la crise sanitaire sur leur quotidien notamment la fréquentation des écoles et des activités périscolaires.

Que sait-on de l’efficacité des vaccins entre 5 et 11 ans ? Dans l’étude ayant conduit à l’AMM européenne, l’efficacité du vaccin Pfizer a été évalué à 90 %. A la dose de 10 µg (le tiers de la dose adulte) les taux d’anticorps obtenus sont similaires à ceux de l’adulte jeune, laissant augurer une efficacité équivalente à celle de l’adulte quel que soit le variant. Cependant, une étude réalisée aux Etats-Unis a comparé l’efficacité du Comirnaty® administré chez des adolescents et des 5-11 ans sur l’infection à Omicron. Elle montre que sur Omicron, et comme on pouvait le prévoir (les doses administrées aux 5-11 ans étaient le tiers de celles injectées aux adolescents), l’efficacité chez l’enfant est plus faible et plus rapidement déclinante que chez l’adolescent. Ces résultats soulignent le besoin potentiel d’étudier des dosages alternatifs du vaccin pour les enfants.

Les sociétés savantes de pédiatrie sont-elles favorables à la vaccination des enfants de 5 à 11 ans ? Oui, elles se sont prononcées pour une vaccination rapide de tous les enfants présentant des maladies chroniques les exposant à un risque de forme grave de COVID ou vivant au contact de personnes immunodéprimées ne répondant pas à la vaccination. Elles soutiennent aussi les recommandations de vaccination des 5-11 ans sans comorbidités, émises par la Haute Autorité de Santé et le Conseil d’Orientation de la Politique Vaccinale ainsi que la position du Comité Consultatif National d’Éthique, en précisant les points suivants :

  • La campagne de rappel vaccinal des adultes reste la priorité pour protéger les plus vulnérables, limiter les hospitalisations et les décès, la vaccination des enfants ne doit pas la freiner. La vaccination des enfants doit s’accompagner systématiquement d’une incitation forte à la vaccination des adultes de leur entourage proche si ces derniers ne sont pas correctement vaccinés.
  • L’objectif premier de la vaccination des 5-11 ans est de leur apporter un bénéfice direct en leur assurant une protection individuelle contre les rares formes graves de COVID-19, notamment les syndromes inflammatoires multisystémiques pédiatriques (PIMS). Depuis avril 2020 en France, 373 enfants de 5 à 11 ans ont été hospitalisés pour un PIMS, le plus souvent en réanimation. Pour 80% d’entre eux, aucun facteur de risque ou comorbidité antérieure n’avait été identifié. Chez l’adolescent, une étude française récente montre qu’alors que ¾ des adolescents français ont reçu deux doses, sur la trentaine de cas de PIMS rapportés dans cette tranche d’âge, aucun n’est survenu chez des enfants complètement vaccinés. Nous manquons aujourd’hui de données précises quant à l’impact de la vaccination des enfants sur la dynamique des vagues épidémiques futures et l’obtention d’un effet de groupe.
  • Les premières données de sécurité de la pharmacovigilance aux États Unis où de plus de 5 millions d’enfants ont reçu au moins une dose et 2 millions dans cette classe d’âge ont reçu 2 doses de vaccin sont très rassurantes. L’incidence des myocardites post vaccinale même après la deuxième dose est inférieure à 1/200.000 vaccinés et elles toutes eu une évolution favorable. Elles devront être confirmées et les pédiatres resteront très attentifs à l’exhaustivité des déclarations et du suivi de pharmacovigilance.
  • La nécessité de la réalisation d’un TROD sérologique (en l’absence d’antécédent connu et documenté de Covid-19) lors de la 1ere dose vaccinale des enfants afin de limiter le schéma vaccinal à une seule dose en cas de contact antérieur avec le Covid-19.
  • Dès maintenant, cette campagne de vaccination doit permettre d’offrir aux familles et aux enfants qui le souhaitent un accès large la vaccination en privilégiant dans un premier temps les collégiens.
  • Pour tous les enfants de cette classe d’âge, la vaccination doit être proposée et non imposée, sans stigmatisation ni passe sanitaire ou vaccinal. Tous les enfants, vaccinés ou non vaccinés doivent pouvoir garder une vie scolaire, sportive et sociale de qualité même s’ils devront pour le moment continuer d’observer les mesures barrière en vigueur.
  • Le rôle du pédiatre et du médecin traitant de l’enfant apparait déterminant pour guider les familles en vue d’une décision médicale partagée. En effet, une information éclairée des parents et des enfants devra être donnée tant sur le bénéfice direct attendu pour l’enfant que sur les incertitudes autour de la vaccination (efficacité, durée de protection selon les variants …) et de l’évolution de la pandémie.
  • La démarche vaccinale doit permettre aux familles d’obtenir les réponses adaptées avec la mise en œuvre d’une logistique spécifique, proche des pratiques habituelles de vaccination de l’enfant, dans de bonnes conditions et sans précipitation afin que enfants et parents se sentent en confiance.
  • Enfin une réflexion globale centrée sur la santé des enfants doit s’engager rapidement au décours de cette campagne pour compléter l’offre de prévention vaccinale pour d’autres maladies infectieuses avec un lourd fardeau pour les enfants et déjà disponible dans les autres pays Européens : rotavirus, coqueluche de la femme enceinte, méningocoques A-C-Y-W, varicelle.

Le programme de vaccination des enfants de 5 à 11 ans a-t-il été un succès en France ? Non contrairement à ce que l’on a pu observer chez les adolescents, le programme de vaccination des enfants de 5 à 11 ans contre le SARS-CoV-2 est un échec. Alors que plusieurs pays européens proches (Espagne, Portugal, Italie, Belgique …) ont des taux de couvertures vaccinales dépassant les 40%, moins de 5% des petits Français de cette tranche d’âge sont vaccinés, et plus inquiétant, moins de 10% des enfants à risque. Plusieurs explications peuvent être mises en exergue. La première est, à juste titre, que la COVID-19 est considérée en France comme une maladie bénigne chez l’enfant, ce qui nous a permis de maintenir les écoles ouvertes plus que dans n’importe quel pays. La seconde est que cette bénignité justifiait de disposer de données de « bonne » tolérance à large échelle, en vie réelle. Ces données, ainsi que les vaccins ont été disponibles début janvier 2022, au début de la vague Omicron en France. Très vite pour l’ensemble du corps médical et la population, il est apparu clairement que l’efficacité des vaccins, avant la dose booster, était médiocre vis-à-vis des infections non graves et de la transmission, mettant en doute l’intérêt de la vaccination. De plus, l’infection « naturelle » semblait possiblement plus efficace. Enfin, un nombre considérable d’enfants pour lesquels les parents souhaitaient la vaccination, ont contracté Omicron entre fin décembre et fin février. En outre, il ne faut pas oublier trois données fondamentales, historiques et non négligeables : l’hésitation vaccinale reste bien plus prégnante en France, le calendrier vaccinal de ces pays comporte des vaccins contre des maladies à faible mortalité infantile, comme les gastro-entérites à rotavirus ou la varicelle (ce qui n’est pas le cas chez nous), et enfin notre médecine scolaire qui aurait pu jouer un rôle important est malheureusement moribonde.

Se dirige-t-on vers la vaccination des jeunes enfants de moins de 5 ans ? Nul ne peut le dire à ce jour. L’idée a été renforcée par l’importance des hospitalisations des enfants de cette tranche d’âge lors de la vague Omicron (70% des hospitalisations pédiatriques) et des précisions sur l’étude du Comirnaty® chez les enfants de moins de 5 ans qui ont été données : la dose utilisée est de 3 µgr (1/10ème de la dose adulte, 1/3 de la dose des 5 à 11 ans) et l’étude a comporté près de 3.000 enfants. La tolérance a été considérée comme excellente, et l’immunogénicité, comparée à celle des 16-25 ans, était non inférieure pour les 6 mois-2 ans, mais étonnamment moins bonne chez les 3-4 ans faisant envisager la nécessité une 3ème dose.